VOLTAIRE ET SES COURTISANES







François-Marie Arouet, dit Voltaire, né le 21 novembre 1694 à Paris, ville où il est mort le 30 mai 1778 (à 83 ans), est un écrivain et philosophe français qui a marqué le XVIIIe siècle et qui occupe une place particulière dans la mémoire collective française et internationale.

 

François-Marie est élevé chez les Jésuites et il se révèle vite un élève brillant. L'influence exercée par les membres de la Compagnie de Jésus sur l'esprit de Voltaire se vérifie à sa prodigieuse maîtrise de la rhétorique, à son goût de la discussion et il y tisse de précieux liens d'amitié très utiles toute sa vie.

 

Parallèlement, il est introduit dans les milieux mondains par son parrain, l'abbé de Châteauneuf qui le présente même à la célèbre courtisane, Ninon de Lenclos. Ainsi, dès l'âge de vingt ans, Voltaire fréquente les salons parisiens et s'adonne à une littérature mondaine sinon légère.

Arouet quitte le collège en 1711 à dix-sept ans et annonce à son père qu’il veut être homme de lettres, et non avocat ou titulaire d’une charge de conseiller au Parlement, investissement pourtant considérable que ce dernier est prêt à faire pour lui. Devant l’opposition paternelle, il s’inscrit à l’école de droit et fréquente la société du Temple, qui réunit dans l’hôtel des membres de la haute noblesse et des poètes épicuriens lettrés connus pour leur esprit, leur libertinage et leurs scepticisme. L'abbé de Châteauneuf, son parrain, qui y avait ses habitudes, l’avait présenté dès 1708. En leur compagnie, il se persuade qu’il est né grand seigneur libertin et n’a rien à voir avec les Arouet et les gens du commun. C'est aussi pour lui une école de poésie ; il va ainsi y apprendre à faire des vers « légers, rapides, piquants, nourris de référence antiques, libres de ton jusqu’à la grivoiserie, plaisantant sans retenue sur la religion et la monarchie ».
 
Le 18 novembre 1718, sa première pièce écrite sous le pseudonyme de Voltaire,Œdipe obtient un immense succès. Le public, qui voit en lui un nouveau Racine, aime ses vers en forme de maximes et ses allusions impertinentes au roi défunt et à la religion. Ses talents de poète mondain triomphent dans les salons et les châteaux. Il devient l’intime des Villars , qui le reçoivent dans leur château de Vaux, et l’amant de Madame de Bernières, épouse du président à mortier du parlement de Rouen.  
 
En janvier 1726, il subit une humiliation qui va le marquer toute sa vie. Le chevalier Guy-Auguste de Rohan-Chabot, jeune gentilhomme arrogant, appartenant à l'une des plus illustres familles du royaume, l’apostrophe à la Comédie Française : « Monsieur de Voltaire, Monsieur Arouet, comment vous appelez-vous ? » ; Voltaire réplique alors : « Voltaire ! Je commence mon nom et vous finissez le vôtre ». Quelques jours plus tard, on le fait appeler alors qu’il dîne chez son ami le duc de Sully. Dans la rue, il est frappé à coups de gourdin par les laquais du chevalier, qui surveille l’opération de son carrosse. Blessé et humilié, Voltaire veut obtenir réparation, mais aucun de ses amis aristocrates ne prend son parti. Le duc de Sully refuse ainsi de l’accompagner chez le commissaire de police pour appuyer sa plainte.
 
Voltaire veut venger son honneur par les armes, mais son ardeur à vouloir se faire justice lui-même indispose tout le monde. Les Rohan obtiennent que l’on procède à l’arrestation de Voltaire, qui est conduit à la Bastille le 17 avril. Il n’est libéré, deux semaines plus tard, qu’à la condition qu’il s’exile.  
 
Voltaire a 32 ans. Cette expérience va le marquer d’une empreinte indélébile. Il va alors s'exiler en Angleterre.

À l’automne 1728, il est autorisé à rentrer en France pourvu qu’il se tienne éloigné de la capitale. L’affaire Rohan remonte à plus de trois ans. Voltaire procède précautionneusement, séjournant plusieurs mois à Dieppe où il se fait passer pour un Anglais. Il obtient en avril l’autorisation de venir à Paris. 
 
Depuis son retour d'Angleterre, sa santé délabrée fait que Voltaire vit sans maîtresse. En 1733, il devient l’amant de Mme Emilie du Châtelet âgée de 27 ans, 12 de moins que Voltaire. Fille de son ancien protecteur, le baron de Breteuill, elle décide pendant seize ans de l’orientation de sa vie, dans une situation quasi conjugale (son mari, un militaire appelé à parcourir l’Europe à la tête de son régiment, n’exige pas d’elle la fidélité, à condition que les apparences soient sauves, une règle que Voltaire « ami de la famille » sait respecter). Ils ont un enthousiasme commun pour l’étude et sous l’influence de son amie, Voltaire va se passionner pour les sciences. Il « apprend d’elle à penser », dit-il. Elle joue un rôle essentiel dans la métamorphose de l’homme de lettres en « philosophe ». Elle lui apprend la diplomatie, freine son ardeur désordonnée. Ils vont connaître dix années de bonheur et de vie commune. La passion se refroidit ensuite. Les infidélités sont réciproques (la nièce de Voltaire, Madame Denis, devient sa maitresse fin 1745, secret bien gardé de son vivant.
 
Voltaire et Émilie allaient à l'opéra, soupaient dans les meilleurs restaurants et se présentaient ensemble aux audiences royales. L'affichage d'une relation était normalement considéré comme incorrect et la société parisienne était parfois choquée de voir à quel point ils oubliaient les règles de la bienséance. Émilie et Voltaire n'en avaient cure. Ces règles étaient pour les autres et ils s'aimaient.
 
À sa mort en 1749, Emilie du Châtelet ne sera jamais remplacée. Mme Denis, que Voltaire aimera tendrement, va régner sur son ménage (ce dont ne se souciait pas Mme du Châtelet), mais elle ne sera jamais la confidente et la conseillère de ses travaux.  

Émilie est une véritable femme de sciences. L’étendue de ses connaissances en mathématiques et en physique en fait une exception dans le siècle. C’est aussi une femme du monde qui mène une vie mondaine assez frénétique en dehors de ses études. Elle aime l’amour et le jeu où elle perd beaucoup d’argent.
 
Evoquant Émilie, Voltaire écrivait à l'un de ses amis: "Tout en elle est noblesse, son attitude, ses goûts, le style de ses lettres, sa manière de parler, sa politesse... Sa conversation est agréable et intéressante." Ils avaient beaucoup à se dire. Ce fut la rencontre de deux grands esprits.Peu après la mort d'Émilie, en 1749, Voltaire écrivait à l'un de ses amis: "Je n'ai pas perdu une maîtresse, mais la moitié de moi-même. Un esprit pour lequel le mien semblait avoir été fait."
 
 

Portrait de Voltaire par Nicolas de Largillière








Lettre de Voltaire à Madame Denis 
Décembre 1745

extrait :
"
Je ne sais pas encore quand mes affaires me permettront de quitter un pays que j’abhorre. La cour, le monde, les grands m’ennuient. Je ne serai heureux que quand je pourrai vivre avec vous.
Votre société et une meilleure santé me rendraient heureux. Je vous embrasse mille fois. Mon âme embrasse la vôtre, mon vit et mon cœur sont amoureux de vous. J’embrasse votre gentil cul et votre adorable personne."



Le diner des philosophes à Ferney en 1772 : Condorcet à gauche, Voltaire au centre et Diderot à droite.





"Il serait mieux de bander, mais que je bande ou non, je vous aimerai toujours."
Lettre de Voltaire à sa nièce
[Vers le 15 octobre 1746]





"La femme coquette est l'agrément des autres, et le mal de qui la possède."
Citation de Voltaire ; Les épîtres, LXXXVII (1748)






Polissonnerie



Je cherche un petit bois touffu,
Que vous portez, Aminthe,
Qui couvre, s’il n’est pas tondu
Un gentil labyrinthe.
Tous les mois, on voit quelques fleurs
Colorer le rivage ;
Laissez-moi verser quelques pleurs
Dans ce joli bocage.

– Allez, monsieur, porter vos pleurs
Sur un autre rivage ;
Vous pourriez bien gâter les fleurs
De mon joli bocage ;
Car, si vous pleuriez tout de bon,
Des pleurs comme les vôtres
Pourraient, dans une autre saison,
M’en faire verser d’autres.

– Quoi ! vous craignez l’évènement
De l’amoureux mystère ;
Vous ne savez donc pas comment
On agit à Cythère ;
L’amant, modérant sa raison,
Dans cette aimable guerre,
Sait bien arroser la gazon
Sans imbiber la terre.

– Je voudrais bien, mon cher amant,
Hasarder pour vous plaire ;
Mais dans ce fortuné moment
On ne se connait guère.
L’amour maîtrisant vos désirs,
Vous ne seriez plus maître
De retrancher de nos plaisirs
Ce qui vous donna l’être.

Voltaire

 









À la marquise du Châtelet



Ainsi donc cent beautés nouvelles
Vont fixer vos brillants esprits
Vous renoncez aux étincelles,
Aux feux follets de mes écrits
Pour des lumières immortelles ;
Et le sublime Maupertuis
Vient éclipser mes bagatelles.
Je n’en suis fâché ni surpris ;
Un esprit vrai doit être épris
Pour des vérités éternelles :
Mais ces vérités que sont-elles ?
Quel est leur usage et leur prix ?
Du vrai savant que je chéris
La raison ferme et lumineuse
Vous montrera les cieux décrits,
Et d’une main audacieuse
Vous dévoilera les replis
De la nature ténébreuse :
Mais, sans le secret d’être heureuse,
Il ne vous aura rien appris.

Voltaire, Épîtres, stances et odes

 

 















A Mme du Châtelet

Voltaire

 » Si vous voulez que j’aime encore,
Rendez-moi l’âge des amours ;
Au crépuscule de mes jours
Rejoignez, s’il se peut, l’aurore.

Des beaux lieux où le dieu du vin
Avec l’Amour tient son empire,
Le Temps, qui me prend par la main,
M’avertit que je me retire.

De son inflexible rigueur
Tirons au moins quelque avantage.
Qui n’a pas l’esprit de son âge,
De son âge a tout le malheur.

Laissons à la belle jeunesse
Ses folâtres emportements.
Nous ne vivons que deux moments :
Qu’il en soit un pour la sagesse.

Quoi ! pour toujours vous me fuyez,
Tendresse, illusion, folie,
Dons du ciel, qui me consoliez
Des amertumes de la vie !

On meurt deux fois, je le vois bien :

Cesser d’aimer et d’être aimable,
C’est une mort insupportable ;
Cesser de vivre, ce n’est rien. « 

Ainsi je déplorais la perte
Des erreurs de mes premiers ans ;
Et mon âme, aux désirs ouverte,
Regrettait ses égarements.

Du ciel alors daignant descendre,
L’Amitié vint à mon secours ;
Elle était peut-être aussi tendre,
Mais moins vive que les Amours.

Touché de sa beauté nouvelle,
Et de sa lumière éclairé,
Je la suivis; mais je pleurai
De ne pouvoir plus suivre qu’elle.

Voltaire (François Marie Arouet)

 

























À Mademoiselle Le Couvreur

Voltaire

L’heureux talent dont vous charmez la France
Avait en vous brillé dès votre enfance ;
Il fut dès lors dangereux de vous voir,
Et vous plaisiez même sans le savoir.
Sur le théâtre heureusement conduite,
Parmi les vœux de cent cœurs empressés,
Vous récitiez, par la nature instruite :
C’était beaucoup, ce n’était point assez ;
Il vous fallut encore un plus grand maître.
Permettez-moi de faire ici connaître
Quel est ce Dieu de qui l’air enchanteur
Vous a donné votre gloire suprême :
Le tendre Amour me l’a conté lui-même ;
On me dira que l’Amour est menteur :
Hélas! je sais qu’il faut qu’on s’en défie ;
Qui mieux que moi connaît sa perfidie ?
Qui souffre plus de sa déloyauté ?
Je ne croirai cet enfant de ma vie ;
Mais cette fois il a dit vérité.
Ce même Amour, Vénus et Melpomène,
Loin de Paris faisaient voyage un jour ;
Ces Dieux charmants vinrent dans ce séjour
Où vos appas éclataient sur la scène ;
Chacun des trois avec étonnement
Vit cette grâce et simple et naturelle,
Qui faisait lors votre unique ornement :
Ah ! dirent-ils, cette jeune mortelle
Mérite bien que sans retardement
Nous répandions tous nos trésors sur elle.
Ce qu’un Dieu veut se fait dans le moment.
Tout aussitôt la tragique déesse
Vous inspira le goût, le sentiment,
Le pathétique, et la délicatesse :
Moi, dit Vénus, je lui fais un présent
Plus précieux, et c’est le don de plaire ;
Elle accroîtra l’empire de Cythère,
A son aspect tout cœur sera troublé,
Tous les esprits viendront lui rendre hommage ;
Moi, dit l’Amour, je ferai davantage,
Je veux qu’elle aime. A peine eut-il parlé
Que dans l’instant vous devîntes parfaite ;
Sans aucuns soins, sans étude, sans fard,
Des passions vous fûtes l’interprète :
Ô de l’Amour adorable sujette,
N’oubliez point le secret de votre art.

Voltaire, Épîtres, stances et odes

 

 


 












À une jeune veuve

Voltaire


Jeune et charmant objet à qui pour son partage
Le ciel a prodigué les trésors les plus doux,
Les grâces, la beauté, l’esprit, et le veuvage,
Jouissez du rare avantage
D’être sans préjugés, ainsi que sans époux !
Libre de ce double esclavage,
Joignez à tous ces dons celui d’en faire usage ;
Faites de votre lit le trône de l’Amour ;
Qu’il ramène les Ris, bannis de votre cour
Par la puissance maritale.
Ah ! ce n’est pas au lit qu’un mari se signale :
Il dort toute la nuit et gronde tout le jour ;
Ou s’il arrive par merveille
Que chez lui la nature éveille le désir,
Attend-il qu’à son tour chez sa femme il s’éveille ?
Non : sans aucun prélude il brusque le plaisir ;
Il ne connaît point l’art d’animer ce qu’on aime,
D’amener par degrés la volupté suprême :
Le traître jouit seul… si pourtant c’est jouir.
Loin de vous tous liens, fût-ce avec Plutus même !
L’Amour se chargera du soin de vous pourvoir.
Vous n’avez jusqu’ici connu que le devoir,
Le plaisir vous reste à connaître.
Quel fortuné mortel y sera votre maître !
Ah ! lorsque, d’amour enivré,
Dans le sein du plaisir il vous fera renaître,
Lui-même trouvera qu’il l’avait ignoré.

Voltaire, Épîtres, stances et odes

 

 












À Uranie

Voltaire

1734.

Je vous adore, ô ma chère Uranie !
Pourquoi si tard m’avez-vous enflammé ?
Qu’ai-je donc fait des beaux jours de ma vie ?
Ils sont perdus ; je n’avais point aimé.
J’avais cherché dans l’erreur du bel âge
Ce dieu d’amour, ce dieu de mes désirs ;
Je n’en trouvai qu’une trompeuse image
Je n’embrassai que l’ombre des plaisirs.
Non, les baisers des plus tendres maîtresses ;
Non, ces moments comptés par cent caresses,
Moments si doux et si voluptueux,
Ne valent pas un regard de tes yeux.
Je n’ai vécu que du jour où ton âme
M’a pénétré de sa divine flamme ;
Que de ce jour où, livré tout à toi,
Le monde entier a disparu pour moi.
Ah ! quel bonheur de te voir, de t’entendre !
Que ton esprit a de force et d’appas !
Dieux ! que ton cœur est adorable et tendre !
Et quels plaisirs je goûte dans tes bras !
Trop fortuné, j’aime ce que j’admire.
Du haut du ciel, du haut de ton empire,
Vers ton amant tu descends chaque jour,
Pour l’enivrer de bonheur et d’amour.
Belle Uranie, autrefois la Sagesse
En son chemin rencontra le Plaisir ;
Elle lui plut ; il en osa jouir ;
De leurs amours naquit une déesse,
Qui de sa mère a le discernement,
Et de son père a le tendre enjouement.
Cette déesse, ô ciel ! qui peut-elle être
Vous, Uranie, idole de mon cœur,
Vous que les dieux pour la gloire ont fait naître,
Vous qui vivez pour faire mon bonheur.

Voltaire, Épîtres, stances et odes

 













Le portrait manqué

Voltaire

A Madame de B***

On ne peut faire ton portrait :
Folâtre et sérieuse, agaçante et sévère,
Prudente avec l’air indiscret,
Vertueuse, coquette, à toi-même contraire,
La ressemblance échappe en rendant chaque trait.
Si l’on te peint constante, on t’aperçoit légère :
Ce n’est jamais toi qu’on a fait.
Fidèle au sentiment avec des goûts volages,
Tous les cœurs à ton char s’enchaînent tour à tour :
Tu plais aux libertins, tu captives les sages,
Tu domptes les plus fiers courages,
Tu fais l’office de l’Amour.
On croit voir cet enfant en te voyant paraître ;
Sa jeunesse, ses traits, son art,
Ses plaisirs, ses erreurs, sa malice peut-être :
Serais-tu ce dieu, par hasard ?

Voltaire

 

 

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