PETRARQUE et sa MUSE LAURE DE SADE



 

 

 

Francesco Petrarca, en français Pétrarque, est un érudit,poète et humaniste florentin. Avec Dante Alighieri et Boccace, il compte parmi les premiers grands auteurs de la littérature italienne.

Plus que Dante avec Béatrice, Pétrarque est passé à la postérité pour la perfection de sa poésie qui met en vers son amour pour Laure de Sade.

Laure,épouse du marquis Hugo de Sade, venait d'avoir dix-sept ans et Pétrarque eut un coup de foudre. Un événement banal qui allait pourtant, par la grâce du génie d’un poète, entrer dans l’histoire de la littérature mondiale. Il allait, en effet, la chanter et la célébrer comme jamais aucun poète ne l’avait fait depuis le temps des troubadours.

Fidèle aux règles de l'Amour courtois, le poète a peu donné de renseignements sur Laure. Il précisa seulement que « sa démarche n'avait rien de mortel », que « sa bien-aimée avait la forme d'un ange » et que « ses paroles avaient un autre son que la voix humaine ».

Il en conclut : « Moi qui avais au cœur l'étincelle amoureuse, quoi d'étonnant si je m'enflammais tout à coup. »




"Laure, célèbre par sa vertu et longuement chantée par mes poèmes, apparut à mes regards pour la première fois au temps de ma jeunesse en fleurs, l’an du Seigneur 1327, le 6 avril, à l’église de Sainte-Claire d’Avignon, dans la matinée. »

Pétrarque

 PENDANT LA VIE DE LAURE

"HONTEUX parfois de n avoir point fait encore de vers
pour votre beauté, ma Dame, j'évoque le souvenir du jour où je vous vis
pour la première fois, si belle qu'aucune autre ne saurait désormais me plaire."

"Je crains que le poids ne soit trop lourd pour
ma main, et que ma lime ne sache polir une
telle oeuvre. Aussi mon esprit, qui connaît les
limites de sa force, devient-il de glace pendant
ce travail".

"Plusieurs fois déjà, j'ai ouvert les lèvres pour
vous parler, mais ma voix s'est arrêtée dans ma
gorge : quelles paroles seraient à la hauteur
d'un tel sujet?"

"Plusieurs fois déjà, j'ai commencé à écrire
des vers, mais ma plume, ma main et mon
cerveau sont retombés, inertes, au premier
assaut."


PENDANT LA VIE DE LAURE

 Sonnet 4
Il glorifie le lieu où Laure naquit.


" Celui qui montra dans son œuvre admirable une prévision et un art infinis ; qui créa l’un et l’autre hémisphère, et fit Jupiter plus doux que Mars,
Venant sur la terre pour révéler le sens des Écritures qui avaient, pendant de longues années, tenu la vérité cachée, délivra Jean et Pierre de leurs liens, et dans le royaume du Ciel leur donna leur place,
Il ne fit pas à Rome la grâce de naître chez elle, mais bien à la Judée ; tant il lui plut toujours d’exalter l’humilité par-dessus tout.
Et, de nos jours, il nous a donné d’une petite bourgade un Soleil tel, qu’on rend grâce à la Nature et au lieu où une si belle dame vint au monde."

Pétrarque




 Sonnet 5
Pétrarque joue ingénieusement sur le nom de Laure, pour célébrer ses louanges.

"Lorsque j’applique mes soupirs à vous appeler et à prononcer le nom qu’Amour écrivit dans mon cœur, c’est la syllabe lau que l’on entend tout d’abord retentir parmi les doux accents de ma voix.
La syllabe re que je rencontre ensuite dans votre nom royal, redouble mon ardeur à poursuivre ma haute entreprise ; mais la dernière syllabe ta, me crie : tais-toi, car l’honorer est un fardeau pour lequel il faut d’autres épaules que les tiennes.
Ainsi, le son même de votre nom, alors même que je vous entends nommer par d’autres, m’apprend à vous louer et à vous vénérer, ô vous digne d’une suprême adoration et d’une suprême louange.
Mais peut-être Apollon s’indigne-t-il qu’une langue mortelle ait la présomption de venir parler de ses rameaux toujours verts."

Pétrarque


 Sonnet 6
Il décrit son ardent amour et l’honnêteté constante de Laure.

"Mon désir affolé s’est tellement égaré à suivre celle qui a pris la fuite et qui, légère et non embarrassée par les lacs d’Amour, vole devant moi si lent à courir,
Que plus je l’appelle, plus je m’efforce de le ramener dans le chemin sûr, moins il m’écoute ; et il ne me sert de rien de l’éperonner, ou de vouloir lui faire tourner bride, car par sa nature Amour le rend rétif.
Et puisqu’il retire de force le frein à soi, je me remets en son pouvoir, et malgré moi il me mène à la mort,
Rien que pour atteindre le Laurier où l’on cueille un fruit tellement amer au goût, qu’il irrite les plaies d’autrui bien plus qu’il ne les soulage."

Pétrarque



 Sonnet 8
Il compare Laure à un soleil et cherche à en éviter les atteintes.


"Quand la planète qui mesure les heures, revient dans le signe du Taureau, il tombe des cornes enflammées une vertu qui revêt le monde d’une couleur nouvelle. Et non seulement elle orne de fleurs ce qui frappe nos yeux au dehors, comme les plaines et les collines, mais, en dedans où jamais il ne fait jour, elle féconde l’humeur terrestre.
Ce qui fait que l’on cueille ces fruits et d’autres semblables. De même, celle-ci qui, parmi les dames est un Soleil, avec les rayons de ses beaux yeux,
Crée en moi pensers, actes et paroles d’amour. Mais de quelque façon qu’elle les gouverne ou qu’elle les tourne, ce n’est jamais le printemps pour moi."

Pétrarque




Sonnet 9
Il espère dans le temps qui, en rendant Laure moins belle, la lui rendra plus compatissante.


"Si ma vie peut se défendre de l’âpre tourment et des angoisses assez longtemps pour que je voie, madame, la lumière de vos beaux yeux éteinte par l’effet des dernières années,
Et les cheveux d’or fin devenir d’argent ; si je vous vois laisser les guirlandes et les vêtements de couleur claire ; et si je vois se décolorer votre visage qui, dans mon malheur, me rend timide et paresseux à me plaindre,
Amour me donnera peut-être assez d’audace pour que je vous découvre quels ont été les ans, les jours et les heures de mon martyre.
Et si alors le temps est contraire aux beaux désirs, il ne pourra pas se faire du moins que ma douleur ne reçoive quelque allégement de vos tardifs soupirs."

Pétrarque  




 Sonnet 10
Il se réjouit de ce que l’amour de Laure le pousse au souverain bien.



"Quand, parmi les autres dames, Amour vient parfois se poser sur le beau visage de celle-ci, autant chacune est moins belle qu’elle, autant croît le désir qui m’énamoure.
Je bénis le lieu, et le temps et l’heure où mes yeux regardèrent si haut, et je dis : mon âme, tu dois en rendre grâce d’avoir été alors jugée digne d’un tel honneur.
D’elle te vient l’amoureux penser qui, tandis que tu le suis, t’achemine au souverain Bien, te faisant estimer peu ce que tout homme désire.
D’elle te vient la noble franchise qui te guide vers le Ciel par un droit sentier, si bien que je vais déjà tout enorgueilli d’espérance."


Pétrarque  






Sonnet 71
Il revient joyeux saluer l’endroit où il fut salué par Laure.


"Endroit plus fortuné que tout autre, où je vis autrefois Amour arrêter ses pas et tourner vers moi ses saintes lumières qui rendent autour d’elles l’air si serein ;
Avec le temps, une solide statue de diamant pourrait plutôt tomber en poussière, que s’efface de mes yeux le doux geste dont ma mémoire et mon cœur sont remplis.
Je ne te verrai jamais sans m’incliner pour rechercher les traces que le beau pied de Laure a faites en cet heureux séjour.
Mais si dans un cœur valeureux, Amour ne dort pas, prie-la, mon Sennuccio, quand tu la verras, de me faire la grâce d’une petite larme ou de quelque soupir."


Pétrarque  

 


Sonnet 72
Si Amour le trouble, il se rassure en pensant aux yeux et aux paroles de Laure.

 
"Hélas ! quand Amour vient m’assaillir, et c’est plus de mille fois la nuit et le jour, je retourne à l’endroit où je vis briller les étincelles qui m’ont allumé au cœur une flamme éternelle.
Là, je redeviens calme, à ce point que, soit à l’heure de none ou de vesprée, soit à l’aube ou quand l’angélus sonne, ma pensée est redevenue si tranquille, que je ne me rappelle plus que cela et ne me soucie plus d’autre chose.
L’air suave, qui vient du clair visage de Laure au son de ses paroles prudentes, produit une douce clarté partout où il souffle.
Il me semble que dans cet air un gentil esprit du paradis vient sans cesse me réconforter, de sorte que mon cœur las ne respire plus ailleurs."

Pétrarque 





Sonnet 73
Laure étant survenue au moment où il ne l’attendait pas, il n’ose pas lui parler.


"Amour m’ayant poussé à l’endroit habituel, inquiet comme quelqu’un qui s’attend à être attaqué et qui se méfie et n’avance que prudemment, je me tenais armé de mes anciennes pensées.
 
Je me retournai, et je vis d’un côté une ombre dessinée par le soleil, et je reconnus par terre celle qui, si mon jugement ne se trompe point, était plus digne d’une existence immortelle.
Je disais en mon cœur : pourquoi trembles-tu ? Mais cette pensée n’était pas encore parvenue au fond de moi-même, que les rayons qui me consument étaient devant mes yeux.
De même que le coup de tonnerre se fait entendre au moment même où l’éclair brille, ainsi je fus surpris tout à la fois par l’apparition des beaux yeux brillants de Laure et par un doux salut."

Pétrarque




 Sonnet 74
Le doux et affectueux salut de sa dame le rend fou de plaisir.



"La Dame qui porte mon cœur sur son visage, m’apparut à l’endroit où j’étais assis, tout entier à mes belles pensées d’amour ; et moi, pour me faire honneur, je me levai, le front respectueusement incliné et tout pâle.
Aussitôt qu’elle se fut aperçue de mon état, elle se tourna vers moi avec un air si nouveau, qu’elle aurait fait tomber la foudre des mains de Jupiter même au moment de sa plus grande fureur, et vaincu sa colère.
J’étais tout tremblant ; et elle continua son chemin, me parlant de telle façon que je n’eus pas la force de supporter ses paroles, ni le doux éclat de ses yeux.
Maintenant, je me retrouve plein de joies si diverses, en pensant à ce salut, que je ne sens plus de douleur, et que je n’en ai plus senti depuis."


Pétrarque





Sonnet 75
Il révèle à son ami l’état de son âme.



"Sennuccio, je veux que tu saches de quelle façon je suis traité, et quelle vie est la mienne. Je brûle et je me consume encore comme d’habitude. Laure me gouverne à son gré, et je suis toujours celui que j’étais.
Ici je la vis humble, et ici altière ; tantôt farouche, et tantôt calme ; tantôt impitoyable et tantôt compatissante ; tantôt revêtue d’honnêteté et de grâces ; tantôt douce et tantôt dédaigneuse et farouche.
Ici elle chanta doucement, et là elle s’assit ; ici elle se retourna vers moi, et là elle ralentit le pas ; là ses beaux yeux m’ont percé le cœur.
Là elle dit une parole, et là elle sourit, là elle changea de visage. C’est dans ces pensées, hélas ! que nuit et jour me tient Amour, notre maître."

Pétrarque




Sonnet 76
La vue seule de Vaucluse lui fait oublier tout les périls du voyage.




"Ici, où je ne suis qu’à moitié, mon Sennuccio — que n’y suis-je en entier et content de vous y voir ! — je suis venu fuir la tempête et le vent qui ont rendu soudain le temps si mauvais.

Ici je suis en sûreté ; et je veux vous dire pourquoi je ne crains plus la foudre comme de coutume, et pourquoi je n’ai pas trouvé ici mon ardent désir diminué, loin de le voir éteint.
Aussitôt que, arrivé dans ce pays de l’Amour, j’ai vu les eaux sur les bords desquelles naquit Laure si douce et si pure, qui apaise l’air et chasse le tonnerre,
Amour a rallumé le feu dans mon âme où elle règne en maître, et a éteint la peur. Que serait-ce donc si je voyais les yeux de Laure !"

Pétrarque





Sonnet 77
De retour à Vaucluse, il désire seulement être en paix avec Laure, et d’être honoré par son ami Colonna.



"Loin de l’impie Babylone, d’où toute honte est bannie, d’où toute chose bonne a été chassée, hôtellerie de douleur, mère d’erreurs, je me suis enfui pour consumer ma vie.

Ici je suis seul, et, selon qu’Amour m’y invite, je cueille tantôt des rimes, tantôt des vers, des plantes ou des fleurs, m’entretenant avec lui, et pensant toujours à des temps meilleurs ; et cela seul me donne du courage.
Je n’ai souci ni du vulgaire ni de la fortune, ni de moi-même beaucoup, ni de la chose vile, et au dedans comme au dehors, je ne ressens point une grande chaleur.
Je désire seulement deux personnes ; je voudrais que l’une vînt à moi le cœur humble et apaisé, et que l’autre fût plus ferme que jamais sur ses pieds."

Pétrarque






 Sonnet 78
Laure s’étant retournée pour le saluer, le soleil, de jalousie, se couvre d’un nuage.


"Entre deux amants je vis une dame honnête et altière, et avec elle, ce maître qui règne sur les hommes et sur les dieux. Le soleil était d’un côté et moi de l’autre.
Quand elle s’aperçut qu’elle était entourée des rayons du plus beau des deux amants, elle se tourna toute joyeuse vers moi, et je voudrais bien qu’elle ne me fût jamais plus cruelle.
Soudain se changea en allégresse la jalousie qui m’était tout d’abord née au cœur à la vue d’un si grand rival.
Pour lui, il voila d’un petit nuage sa face larmoyante et triste, tellement il eut de dépit d’avoir été vaincu."

Pétrarque




 Sonnet 79
Il ne désire, il ne voit que l’image de sa Dame.


"Plein de cette ineffable douceur que mes yeux tirèrent du beau visage de Laure, le jour où je les aurais volontiers fermés pour ne jamais voir de beauté moindre,
Je quittai ce que j’aime le plus, et mon esprit est si habitué à contempler uniquement Laure, qu’il ne voit pas autre chose, et que tout ce qui n’est pas elle, depuis longtemps il le hait et le dédaigne.
Dans une vallée fermée de tous côtés, et où je trouve le soulagement à mes peines, je suis venu seul avec Amour, à pas lents et tout rêveur.
Là point de dames, mais des sources et des rochers ; et j’y retrouve le souvenir de ce jour que ma pensée se retrace, où que je porte les yeux."

Pétrarque







Sonnet 80
S’il pouvait voir la maison de Laure, ses soupirs seraient moins cuisants.



"Si la montagne qui ferme principalement ce val, dont le nom dérive de là, avait, par dédain, le front tourné vers Rome et le dos vers Babel,

Mes soupirs auraient un chemin plus facile pour aller où vit leur espérance. Maintenant, ils s’en vont épars, et pourtant chacun d’eux arrive là où je l’envoie, et pas un ne manque d’y aller.
Et ils sont si doucement accueillis là-bas, comme je m’en aperçois, qu’aucun d’eux ne revient jamais, mais qu’ils y restent, tellement ils y trouvent de plaisir.
C’est pour mes yeux qu’est la douleur ; car aussitôt qu’il fait jour, à cause du grand désir de voir les lieux dont la vue leur a été ravie, ils apportent à moi les larmes et à mon pied lassé la fatigue."

Pétrarque




APRÈS LA MORT DE LAURE


Sonnet M-01
Il fait l’éloge de Laure pour adoucir la douleur que lui a causé sa mort.


"Hélas ! le beau visage, hélas ! le suave regard ; hélas ! le gracieux et noble maintien ; hélas ! le parler qui adoucissait l’esprit le plus âpre et le plus farouche, et aurait rendu vaillant l’homme le plus lâche ;
Et le doux rire, hélas ! d’où sortit le dard dont je n’espère désormais d’autre bien que la mort ; âme royale, on ne peut plus digne de l’empire, si tu n’étais pas descendue si tard parmi nous !
Il faut que pour vous je brûle et qu’en vous je respire ; car je fus uniquement à vous ; et si de vous je suis séparé, tous les autres malheurs me font bien moins gémir.
Vous m’emplîtes d’espérance et de désir quand je m’éloignai de mon suprême bien encore vivant ; mais le vent emportait mes paroles."


Pétrarque.





Sonnet M-02
Il pleure la double perte de son ami Colonna et de sa Laure.



"Elle est brisée la haute colonne, il est abattu le vert laurier qui ombrageait ma triste pensée ; j’ai perdu ce que je n’espère plus retrouver des plages Boréennes à celles de l’Auster, de la mer des Indes aux rivages Maures.
Tu m’as ravi, ô mort, mon double trésor qui me faisait vivre heureux et marcher la tête haute ; et rien sur la terre ne peut me le faire recouvrer, ni empire, ni pierres d’Orient, ni monceaux d’or.
Mais si cela s’est fait du consentement du Destin, que puis-je davantage, sinon avoir l’âme triste, les yeux toujours humides de larmes, et le visage toujours baissé ?
Oh ! notre vie, qui est si belle en apparence, comme elle perd facilement, en une matinée, ce qu’on acquiert à grand’peine en de longues années !"

Pétrarque 






Sonnet M-03
Amour a essayé de le prendre de nouveau, mais la mort a rompu ses filets, et il reste libre.




"L’ardent lien où je restai pris vingt et une années bien comptées d’heure à heure, a été brisé par la mort, et jamais je n’éprouvai de coup si affreux ; et je ne crois pas qu’un homme puisse mourir de douleur.

Amour ne voulant pas encore me laisser échapper, avait tendu un nouveau lac dans l’herbe, et avec un nouvel appât, allumé un nouveau feu, de façon qu’à grand’peine je m’en serais sauvé.
Et n’eût été la grande expérience que m’ont donnée mes premiers tourments, je serais pris et brûlé d’autant plus facilement que je suis en bois moins vert.
La Mort m’a délivré une seconde fois ; elle a brisé le lien, et a éteint et dispersé le feu, la Mort contre laquelle ne prévaut ni force ni habileté."

Pétrarque





Sonnet M-04
Laure morte, le passé, le présent, l’avenir, lui sont odieux.




"La vie fuit et ne s’arrête pas une heure ; et la mort vient derrière à grandes journées ; et les choses présentes, aussi bien que les choses passées et celles à venir, me donnent du tourment.
Et le souvenir et l’attente me fatiguent tellement de tous côtés, qu’en vérité, si je n’avais pitié de moi-même, je me serais déjà délivré de ces pensées.
D’un côté, je cherche si mon cœur triste goûta jamais auparavant quelque douceur ; et de l’autre je vois les vents courroucés contre mon navire ;
Je vois la fortune dans le port, et mon nocher fatigué désormais, et les mâts et les cordages rompus, et les beaux yeux que j’avais coutume de regarder, éteints pour toujours."

Pétrarque




 Sonnet M-08
Ayant perdu l’unique remède aux maux de cette vie, la seule chose qu’il désire, c’est de mourir.


"Puisque, par son départ subit, la vue angélique et sereine a laissé mon âme dans une douleur profonde et dans une ténébreuse horreur, je cherche, en parlant, à soulager ma peine.
Certes, une juste douleur m’amène à me lamenter ; elle le sait, celle qui en est la cause, et Amour le sait aussi ; car mon cœur n’avait pas d’autre remède contre les ennuis dont la vie est pleine.
Cet unique remède, ô Mort, ta main me l’a enlevé, ainsi que toi, heureuse terre, qui couvres, gardes et as maintenant avec toi ce beau visage humain.
Pourquoi me laisses-tu inconsolé et aveugle, puisque la douce, amoureuse et tranquille lumière de mes yeux n’est plus avec moi ?"

Pétrarque




 Sonnet M-09
Il n’espère plus la revoir, et pourtant il se réconforte en se l’imaginant dans le ciel.



"Si Amour ne m’apporte pas un nouveau conseil, il faudra nécessairement que ma vie change, tant la peur et la souffrance oppressent mon âme triste, où le désir vit et où l’espérance est morte.
Aussi ma vie s’affaiblit et se décourage entièrement, et nuit et jour pleure, fatiguée, sans gouvernail sur une mer qui brise, et doutant de la voie à prendre, privée qu’elle est d’un guide fidèle.
Un guide imaginaire la conduit, car son vrai guide est sous terre ; ou plutôt il est dans le ciel, d’où plus brillant que jamais il éclaire mon cœur,
Mais non mes yeux, car un douloureux voile leur obstrue la lumière désirée, et me fait ainsi changer si vite de cheveux."







Sonnet M-10
Il désire mourir au plus vite, afin de la suivre avec son âme, comme il le fait avec sa pensée.

Ne l'età sua piú bella et piú fiorita,
quando aver suol Amor in noi piú forza,
lasciando in terra la terrena scorza,
è l'aura mia vital da me partita,
et viva et bella et nuda al ciel salita:
indi mi signoreggia, indi mi sforza.
Deh perché me del mio mortal non scorza
l'ultimo dí, ch'è primo a l'altra vita ?

Ché, come i miei pensier' dietro a lei vanno,
cosí leve, expedita et lieta l'alma
la segua, et io sia fuor di tanto affanno.

Ciò che s'indugia è proprio per mio damno,
per far me stesso a me piú grave salma.
O che bel morir era, oggi è terzo anno !


En sa saison la plus belle et la plus fleurie, alors qu’Amour a le plus d’empire sur nous, laissant dans la terre son enveloppe terrestre, ma Laure, ma vie, est partie loin de moi

Et vivante, belle et nue, elle est montée au ciel ; de là elle me gouverne, de là elle me fait sentir sa force. Ah ! pourquoi Sodernier jour, qui est le premier de l’autre vie, ne me délivre-t-il pas de mon enveloppe mortelle ?

Afin que, comme nos pensées s’en vont derrière elle, ainsi légère, délivrée et joyeuse, mon âme puisse la suivre, et que je sois hors d’un pareil martyre.

Tout retard ne me fait vraiment que porter dommage, et me rendre à moi-même un plus lourd fardeau. Oh ! qu’il eût été beau de mourir il y a aujourd’hui trois ans !

Pétrarque 

 

 Source : tumblr_paxqr5t9VF1tm4xgzo1

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