ÉMILE VERHAEREN, LE POÈTE FLAMAND

 

 


 

 

 

 

Poète belge né à Saint-Amand (Anvers) le 21 mai 1855, Émile Verhaeren est décédé à Rouen le 27 Novembre 1916. 

En 1883, il publia son premier recueil de poèmes réalistes-naturalistes, Les Flamandes, consacré à son pays natal. Accueilli avec enthousiasme par l'avant-garde, l'ouvrage fit scandale au pays natal. Ses parents essayèrent même avec l'aide du curé du village d'acheter la totalité du tirage et de le détruire. Le scandale avait été un but inavoué du poète, afin de devenir connu plus rapidement. Il n'en continua pas moins par la suite à publier d'autres livres de poésies. Des poèmes symbolistes au ton lugubre caractérisent ces recueils, Les Moines, Les Soirs, Les Débâcles et Les Flambeaux noirs

En 1891, il épousa Marthe Massin, peintre connue pour ses aquarelles, dont il avait fait la connaissance deux ans plus tôt, et s'installa à Bruxelles. Son amour pour elle s'exprime dans trois recueils de poèmes d'amour : Les Heures claires, Les Heures d'après-midi et Les Heures du soir.  


En 1914, la Première guerre mondiale éclata et, malgré sa neutralité, la Belgique fut occupée presque entièrement par les troupes allemandes. Verhaeren se réfugia en Angleterre9. Il écrivit des poèmes pacifistes et lutta contre la folie de la guerre dans les anthologies lyriques : La Belgique sanglante, Parmi les Cendres et Les Ailes rouges de la Guerre. Sa foi en un avenir meilleur se teinta pendant le conflit d'une résignation croissante. Il n'en publia pas moins dans des revues de propagande anti-allemandes et tenta dans ses conférences de renforcer l'amitié entre la France, la Belgique et le Royaume Uni. Le 27 novembre 1916, il alla visiter les ruines de l'abbaye de Jumièges. Le soir, après avoir donné une nouvelle conférence à Rouen, il mourut accidentellement, ayant été poussé par la foule, nombreuse, sous les roues d'un train qui partait.


Au clos de notre amour, l’été se continue

Emile Verhaeren

Au clos de notre amour, l’été se continue :
Un paon d’or, là-bas, traverse une avenue ;
Des pétales pavoisent
– Perles, émeraudes, turquoises –
L’uniforme sommeil des gazons verts
Nos étangs bleus luisent, couverts
Du baiser blanc des nénuphars de neige ;
Aux quinconces, nos groseilliers font des cortèges ;
Un insecte de prisme irrite un coeur de fleur ;
De merveilleux sous-bois se jaspent de lueurs ;
Et, comme des bulles légères, mille abeilles
Sur des grappes d’argent vibrent au long des treilles.

L’air est si beau qu’il paraît chatoyant ;
Sous les midis profonds et radiants
On dirait qu’il remue en roses de lumière ;
Tandis qu’au loin, les routes coutumières
Telles de lents gestes qui s’allongent vermeils,
A l’horizon nacré, montent vers le soleil.

Certes, la robe en diamants du bel été
Ne vêt aucun jardin d’aussi pure clarté.
Et c’est la joie unique éclose en nos deux âmes,
Qui reconnaît sa vie en ces bouquets de flammes.

Emile Verhaeren 

 

 

Ardeur des sens, ardeur des cœurs

Poète : Émile Verhaeren (1855-1916)

Recueil : Les heures d'après-midi (1905).
Ardeur des sens, ardeur des cœurs, ardeur des âmes,
Vains mots créés par ceux qui diminuent l'amour ;
Soleil, tu ne distingues pas d'entre tes flammes
Celles du soir, de l'aube ou du midi des jours.

Tu marches aveuglé par ta propre lumière,
Dans le torride azur, sous les grands cieux cintrés,
Ne sachant rien, sinon que ta force est plénière
Et que ton feu travaille aux mystères sacrés.

Car aimer, c'est agir et s'exalter sans trêve ; 

Ô toi, dont la douceur baigne mon coeur altier,
À quoi bon soupeser l'or pur de notre rêve ?
Je t'aime tout entière, avec mon être entier.  


Émile Verhaeren.






Asseyons-nous tous deux près du chemin

Poète : Émile Verhaeren (1855-1916)

Recueil : Les heures d'après-midi (1905).
Asseyons-nous tous deux près du chemin,
Sur le vieux banc rongé de moisissures,
Et que je laisse, entre tes deux mains sûres,
Longtemps s'abandonner ma main.

Avec ma main qui longtemps s'abandonne
A la douceur de se sentir sur tes genoux,
Mon cœur aussi, mon cœur fervent et doux
Semble se reposer, entre tes deux mains bonnes.

Et c'est la joie intense et c'est l'amour profond
Que nous goûtons à nous sentir si bien ensemble,
Sans qu'un seul mot trop fort sur nos lèvres ne tremble,
Ni même qu'un baiser n'aille brûler ton front.

Et nous prolongerions l'ardeur de ce silence
Et l'immobilité de nos muets désirs,
N'était que tout à coup à les sentir frémir
Je n'étreigne, sans le vouloir, tes mains qui pensent ;

Tes mains, où mon bonheur entier reste celé
Et qui jamais, pour rien au monde,
N'attenteraient à ces choses profondes
Dont nous vivons, sans en devoir parler.


Émile Verhaeren.





Au temps où longuement j'avais souffert

Poète : Émile Verhaeren (1855-1916)

Recueil : Les heures claires (1896).
Au temps où longuement j'avais souffert,
Où les heures m'étaient des pièges,
Tu m'apparus l'accueillante lumière
Qui luit aux fenêtres, l'hiver,
Au fond des soirs, sur de la neige.

Ta clarté d'âme hospitalière
Frôla, sans le blesser, mon coeur,
Comme une main de tranquille chaleur.

Puis vint la bonne confiance,
Et la franchise, et la tendresse, et l'alliance
Enfin de nos deux mains amies,
Un soir de claire entente et de douce accalmie.

Depuis, bien que l'été ait succédé au gel,
En nous-mêmes, et sous le ciel,
Dont les flammes éternisées
Pavoisent d'or tous les chemins de nos pensées,
Et que l'amour soit devenu la fleur immense
Naissant du fier désir
Qui sans cesse, pour mieux encor grandir,
En notre coeur se recommence
Je regarde toujours la petite lumière
Qui me fut douce, la première.


Émile Verhaeren.




Avec le même amour

Poète : Émile Verhaeren (1855-1916)

Recueil : Les heures du soir (1911).
Avec le même amour que tu me fus jadis
Un jardin de splendeur dont les mouvants taillis
Ombraient les longs gazons et les roses dociles,
Tu m'es en ces temps noirs un calme et sûr asile.

Tout s'y concentre, et ta ferveur et ta clarté
Et tes gestes groupant les fleurs de ta bonté,
Mais tout y est serré dans une paix profonde
Contre les vents aigus trouant l'hiver du monde.

Mon bonheur s'y réchauffe en tes bras repliés
Tes jolis mots naïfs et familiers,
Chantent toujours, aussi charmants à mon oreille
Qu'aux temps des lilas blancs et des rouges groseilles.

Ta bonne humeur allègre et claire, oh ! je la sens
Triompher jour à jour de la douleur des ans,
Et tu souris toi-même aux fils d'argent qui glissent
Leur onduleux réseau parmi tes cheveux lisses.

Quant ta tête s'incline à mon baiser profond,
Que m'importe que des rides marquent ton front
Et que tes mains se sillonnent de veines dures
Alors que je les tiens entre mes deux mains sûres !

Tu ne te plains jamais et tu crois fermement
Que rien de vrai ne meurt quand on s'aime dûment,
Et que le feu vivant dont se nourrit notre âme
Consume jusqu'au deuil pour en grandir sa flamme.  


Émile Verhaeren


Avec mes sens

Poète : Émile Verhaeren (1855-1916)

Recueil : Les heures d'après-midi (1905).

Avec mes sens, avec mon cœur et mon cerveau,
Avec mon être entier tendu comme un flambeau
Vers ta bonté et vers ta charité
Sans cesse inassouvies,
Je t'aime et te louange et je te remercie
D'être venue, un jour, si simplement,
Par les chemins du dévouement,
Prendre, en tes mains bienfaisantes, ma vie.

Depuis ce jour,
Je sais, oh ! quel amour
Candide et clair ainsi que la rosée
Tombe de toi sur mon âme tranquillisée.

Je me sens tien, par tous les liens brûlants
Qui rattachent à leur brasier les flammes ;
Toute ma chair, toute mon âme
Monte vers toi, d'un inlassable élan ;
Je ne cesse de longuement me souvenir
De ta ferveur profonde et de ton charme,
Si bien que, tout à coup, je sens mes yeux s'emplir,
Délicieusement, d'inoubliables larmes.

Et je m'en viens vers toi, heureux et recueilli,
Avec le désir fier d'être à jamais celui
Qui t'est et te sera la plus sûre des joies.
Toute notre tendresse autour de nous flamboie ;
Tout écho de mon être à ton appel répond ;
L'heure est unique et d'extase solennisée
Et mes doigts sont tremblants, rien qu'à frôler ton front,
Comme s'ils y touchaient l'aile de tes pensées.


Émile Verhaeren
 
 
 

Avec mes vieilles mains

Poète : Émile Verhaeren (1855-1916)

Recueil : Les heures du soir (1911).

Avec mes vieilles mains de ton front rapprochées
J'écarte tes cheveux et je baise, ce soir,
Pendant ton bref sommeil au bord de l'âtre noir
La ferveur de tes yeux, sous tes longs cils cachée.

Oh ! la bonne tendresse en cette fin de jour !
Mes yeux suivent les ans dont l'existence est faite
Et tout à coup ta vie y parait si parfaite
Qu'un émouvant respect attendrit mon amour.

Et comme au temps où tu m'étais la fiancée
L'ardeur me vient encor de tomber à genoux
Et de toucher la place où bat ton coeur si doux
Avec des doigts aussi chastes que mes pensées.


Émile Verhaeren.



C'était en juin, dans le jardin

Poète : Émile Verhaeren (1855-1916)

Recueil : Les heures d'après-midi (1905).

C'était en juin, dans le jardin,
C'était notre heure et notre jour ;
Et nos yeux regardaient, avec un tel amour,
Les choses,
Qu'il nous semblait que doucement s'ouvraient
Et nous voyaient et nous aimaient
Les roses.

Le ciel était plus pur qu'il ne le fut jamais :
Les insectes et les oiseaux
Volaient dans l'or et dans la joie
D'un air frêle comme la soie ;
Et nos baisers étalent si beaux
Qu'ils exaltaient et la lumière et les oiseaux.

On eût dit un bonheur qui tout à coup s'azure
Et veut le ciel entier pour resplendir ;
Toute la vie entrait, par de douces brisures,
Dans notre être, pour le grandir.

Et ce n'étaient que cris invocatoires,
Et fous élans et prières et voeux,
Et le besoin, soudain, de recréer des dieux,
Afin de croire.


Émile Verhaeren
 
 



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